Gaëlan + Carrie

En ce début de semaine, Gaëlan avait eu des difficultés à se lever et avait finalement décidé de ne pas se rendre en cours. Il lui arrivait régulièrement de sécher, ayant toujours autre chose à faire de plus important selon lui. En sortant de son studio d'étudiant fauché, il se dirigea naturellement sur le campus pour profiter de l'air frais et du calme qui y régnait pendant que les autres jeunes écoutaient un cours sûrement ennuyeux dans les amphithéâtres situés à proximité.

Pas excessivement grand, plutôt svelte et encore doté du visage d'un jeune woltarien, Gaëlan rêvassait tranquillement après s'être assis sur un des bancs entourant l'allée centrale menant aux divers bâtiments.

Il regarda longtemps les dernières photos prises avec son smartphone. C'était son passe-temps préfèré, prendre des paysages, des gens ou des situations à la dérobée pour mieux les comprendre par la suite.
Le jeune garçon passa ses doigts dans sa mèche et leva le museau en l'air avant de fermer les yeux pour profiter du rayon de soleil qui perçait à travers les feuilles des arbres. Il entendit un groupe de jeunes discuter et passer devant lui. Lorsqu'ils l'eurent dépassé, Gaëlan ouvrit les yeux et les détailla de dos. Plusieurs jeunes filles discutant et riant, des livres de cours dans les bras et leurs sacs à l'épaule.
Elles étaient plutôt fades de pelage, sauf l'une d'entre elle, apparement orangée, dont la couleur détonnait parmi celles des autres. Le jeune garçon aimait les choses et les gens qui se démarquaient par leur apparence ou leur comportement et ses yeux ne quittèrent pas la jeune fille, bien qu'elle soit dos à lui.

Le sac à main de cette dernière paraissait bien rempli et un objet ne tarda pas à s'en échapper sans que la jeune femme ne semble s'en rendre compte.

Instinctivement, Gaëlan se leva, fit trois pas en trottinant, récupéra le bien que se trouvait être un carnet de note et héla la woltarienne.

- Eh ! Excuse-moi mais j'crois que t'as fait tomber ça !

[I]Le temps qu'elle se retourne, le woltarien s'était rapproché et lui tendait l'objet en souriant, sympathique.

Carrie éclata joyeusement de rire : le bonheur de son amie Elysandre qui lui racontait ses dernières rencontres amoureuses la remplissait de joie. La jeune woltarienne ressentit une bouffée de gratitude pour sa bande d'amis avec qui elle se dirigeait vers la cafétéria de la fac : ils illuminaient sa journée et rendait les cours à l'université moins barbants, même si tous n'étaient pas dans la même filière.

À cette époque de l'année, le campus était blindé de monde : tous les jeunes souhaitaient profiter de la douceur de l'herbe et du soleil d'été et se réunissaient pour jouer aux cartes, grignoter ou, pour les plus studieux, réviser - ceux-là étaient vraiment les plus rares. Il faut dire qu'avec ses pelouses fleuries, le campus était vraiment un havre de paix et de végétation dans la jungle urbaine qu'était Setia.

Toute à sa discussion, Carrie ne sentit pas qu'un carnet tombait de son sac : il était beaucoup trop petit pour être un sac de cours, mais la jeune femme en adorait la couleur rouge vif.

- Eh ! Excuse-moi mais j'crois que t'as fait tomber ça !

Carrie tourna la tête, puis se rendant compte qu'elle était l'interpellée, se retourna vivement. En voyant l'objet en question, ses yeux s'agrandirent de frayeur à l'idée de l'avoir perdu. Puis elle regarda le jeune homme, un beau Woltarien au pelage bleu vif, et aux yeux d'un bleu incroyable. Elle adressa un signe à ses amies pour lui dire qu'elle les rejoindrait plus tard.

- Waouh, merci beaucoup !! Tu peux pas savoir à quel point je tiens à ce carnet. Elle récupéra l'objet en question et le pressa contre elle, avec ses autres livres de cours. J'écris tout le temps dedans. Notamment en cours ! ajouta-t-elle en riant. Le visage du jeune homme lui semblait familier et elle était persuadée de l'avoir déjà vu traîner sur le campus - comme tant d'autres étudiants.

Gaëlan fut presque intimidé lorsque les deux prunelles vertes de la woltarienne se posèrent sur lui. Il prit le temps de la détailler un instant, conservant un sourire en coin. Elle était vraiment jolie et surtout, lumineuse. Le jeune garçon se contenta de hocher la tête en la laisser reprendre son bien.

Pour sa part, elle ne lui disait rien. Sûrement parce qu'il ne faisait jamais vraiment attention aux personnes qu'il croisait et ne s'en souvenait donc que rarement. Elle semblait plus âgée que lui, qui venait seulement d'entamer les cours pour obtenir sa licence.

Le jeune garçon baissa les yeux pour regarder les mains de la jeune fille qui serraient à présent le carnet. Gaëlan se montra curieux, comme à son habitude.

- Tu écris ? Tu dois êtes en lettres j'imagine... T'es courageuse. Pour ma part, je suis incapable d'aligner deux phrases qui se tiennent à la suite ahah ! [I]Répliqua-t-il, le regard rieur.

Le woltarien reporta son regard sur son visage et se frotta l'arrière de la nuque.

- T'es nouvelle non ? Je suis pas là depuis longtemps mais je passe pas mal de temps sur le campus, à l'extérieur surtout. Et je crois que je m'en souviendrais si je t'avais vue avant...

Gaëlan se faisait généralement plutôt drageur quand il se trouvait en face d'une jolie fille. Il filtrait, régulièrement mais n'avait aucune vraie relation, ce qui ne le gênait pas particulièrement. Le garçon passait généralement pour le meilleur ami à qui on raconte tout ou à l'amant d'un soir qu'on appelle lorsqu'on se sent seul. Il vivait chaque moment intensément et considérait que tout pouvait être enrichissant. Et faire de nouvelles rencontre entrait totalement dans cette catégorie.

Carrie eut un hochement de tête appréciateur.

- Oui, j'écris ! Et gagné, je suis en fac de lettres. Il semblait plus jeune qu'elle mais la jeune femme le remarqua à peine ; déjà parce qu'à leur âge, quelques dizaines de jour formaient une différence insignifiante ; ensuite parce qu'à l'université de Setia se côtoyaient des gens de tous âge, du plus jeune au plus âgé. Les diplômes étaient accessibles à tout moment de la vie et la plupart des gens accumulaient plusieurs licences, voire plusieurs maîtrises en même temps. Elle eut un sourire :

- Oh tu sais, c'est juste de l'entraînement ! Au début on hésite, on n'ose pas... et puis à force, ça vient et on se pose plus trop de questions. Et puis à la relecture, on a envie de tout barrer ! dit-elle en riant elle aussi.

La remarque du jeune homme la fit sourire. Le compliment lui fit plaisir mais elle ne se démonta pas : elle essayait de ne pas en tirer trop de fierté mais les hommes l'abordaient souvent, et elle avait appris à réagir en conséquence. Elle essaya de ne pas penser au fait que sa relation avec son meilleur ami s'était détériorée quand elle l'avait gentiment repoussé.

- Je ne suis pas vraiment nouvelle, non... mais je passe le moins de temps possible sur le campus. Je me suis inscrite en lettres en pensant que j'allais étudier la littérature... et puis, erreur au niveau de l'administration et je me retrouve en droit, dans le même département mais pas dans la licence que je voulais ! Elle secoua la tête d'un air dépité. Impossible de changer, évidemment, tu connais l'administration... J'ai pas voulu gâcher un an, alors j'ai passé ma licence, et là j'essaie de travailler pour la maîtrise... mais ça m'saoule. Elle sourit. Enfin, désolée de t'importuner avec ça. Merci beaucoup d'avoir ramassé mon carnet ! Au fait, je m'appelle Carrie. Et toi ?

Gaëlan l'écouta attentivement. Du moins les premières minutes puis son esprit dévia rapidement, son regard se perdant dans le sien. Il était souvent distrait et écoutait la moitié des informations qu'on lui donnait. Pourtant, il réussissait aisément à feindre le contraire, ne voulant pas donner l'impression d'être nonchalant.
Il haussa un sourcil avant d'afficher un air approbateur.

- Oui, l'administration c'est jamais simple ici. C'est dommage que tu n'aies pas fait ce qui te plaît vraiment... Après, tu peux toujours étudier de ton côté même si ça doit être moins cool. Surtout que passer son temps seul chez soi, le nez dans les livres, je sais pas si c'est le top.Conclut le jeune homme en hochant la tête.

Gaëlan fut étonné qu'elle soit déjà en maîtrise et pencha la tête sur le côté. Il fut déçu en sachant qu'il ne la croiserait donc que rarement. Elle avait l'air de savoir ce qu'elle voulait, ce qui lui plaisait.
Il lui tendit instinctivement la main pour la lui serrer. C'était sûrement très, voire trop formel, mais le woltarien ne s'en inquiéta pas vraiment.

- Enchanté Carrie. Moi c'est Gaëlan . Se présenta-t-il chaleureusement. Tu es inscrite au club de littérature de la fac ? J'ai entendu dire qu'ils y faisaient des trucs intéressants... Quand on aime les bouquins évidemment ![/b] Rit-il en la regarda toujours intensément, plus par habitude que pour la dévisager réellement.[/b]

Carrie avait rarement rencontré quelqu'un qui soutenait son regard avec une telle insistance. En règle générale, tout en discutant, elle tournait instinctivement les yeux ici et là pour ne pas fixer la personne en face d'elle, faisait des mouvements avec ses pattes afin de détourner un peu l'attention de l'interlocuteur. Le jeune homme devant elle ne détournait pas le regard et ne cillait pas, ce qui la rendait mal à l'aise. Et dans le même temps, elle ne pouvait s'empêcher d'admirer ses yeux bleus fascinants. La couleur en était très belle, et les prunelles recelaient une espèce de mystère latent - comme si le garçon était en quelque sorte insaisissable, pas vraiment tout à fait là. Il devait lui aussi avoir sa part de succès, se dit Carrie en se concentrant à nouveau sur ce qu'il disait.

Elle lui serra la main, tout à fait enchantée ; elle adorait ce geste, comme bon nombre de choses archaïques qu'elle appréciait. "Gaëlan", disait-il s'appeler... Un vrai nom de héros de roman, se dit-elle en souriant. La jeune femme hocha la tête.

- Oh oui, j'y suis allée en début d'année. Je n'ai pas dû tomber sur la bonne réunion alors, parce qu'elle s'est contentée en une suite d'exposés et de résumés de livres par des gens... très peu passionnants. Je n'y suis pas retournée, avoua-t-elle en rougissant, contente de passer un peu pour une enfant gâtée. Elle demanda mécaniquement :

- Et toi, tu fais partie d'un club à la fac ?

Le jeune homme était amusé des réactions de la woltarienne. Elle semblait très expressive ce qui tranchait avec lui qui se contentait généralement de sourire ou d'acquiescer. Paradoxalement, s'il aimait profiter de chaque moment présent, il n'avait pas pour habitude de s'en réjouir ou de s'en plaindre outre mesure. Ses expressions étaient relativement constantes. À sa dernière question, Gaëlan haussa les épaules. À vrai dire, il n'avait jamais eu une très grande motivation pour les études et se forçait à aller à la fac pour faire plaisir à sa famille. Il était l'aîné et se devait de montrer l'exemple un minimum même si, derrière cette façade, il aurait aimé tout quitter pour faire quelque chose qui lui tenait vraiment à coeur. Toutefois, il n'avait jamais trouvé ce qui le passionnait réellement. Il aimait tout de façon globale et n'avait jamais de préférence vraiment définie.
Le garçon était en effet plutôt neutre vis à vis de tout.

Si certains considèreraient qu'il s'agit d'un manque de personnalité, Gaëlan se contenterait de répondre, qu'après tout, on est pas vraiment obligé de choisir...

Oh tu sais la fac et moi ça fait deux... Je suis en sciences mais ça me passionne pas vraiment. C'est sympa mais sans plus, donc les clubs ne m'ont jamais tenté plus que ça... Répondit-il, souriant toujours en coin et ne quittant toujours pas Carrie des yeux.
Plus il la regardait et plus il la trouvait jolie.

N'ayant pas peur d'un futur refus de sa part, Gaëlan se passa la main dans la nuque et regarda en l'air, facilement distrait par le moindre oiseau qui passait au dessus d'eux, avant de réfléchir à la manière de la revoir. Le garçon se rendait souvent aux soirées organisées sur le campus bien qu'il ne s'y alcoolise jamais outre mesure.

Et sinon, tu vas aux soirées d'temps en temps ? Je crois qu'il y en a une jeudi soir. J'y suis à chaque fois donc si tu sais pas quoi faire, j't'offrirai un verre ! Proposa-t-il ne se voulant pas non plus trop entreprenant.

Si la jeune fille refusais tant pis, il ne perdrait rien à avoir tenté, si elle acceptait, il serait ravi de la revoir et de discuter avec elle.

Carrie acquiesçait au fur et à mesure qu'il parlait. Elle comprenait sa réticence puisqu'elle même n'était pas emballée par ce que l'université leur offrait. En revanche, quand il parla de fêtes, son oeil pétilla.

- Si j'y serai ? Tu veux dire... à laquelle je serai ? ajouta-t-elle en riant légèrement. Elle adorait évoluer entre les fêtes, passant de l'une à l'autre, saluant dans chacune des amis ou de simples connaissances ; et si elle ne pratiquait pas la danse à un niveau professionnel, elle était capable de danser toute la nuit sur la piste, emportée par la musique, l'ambiance et l'alcool. Elle se corrigea : c'est bien la fac qui lui avait permis de rencontrer ce monde et de se rendre à autant de fêtes. Elle reprit :

- Mais j'ai entendu parler d'une soirée jeudi soir organisée spécialement par le Bureau Des Étudiants... Si je sais que tu y es, je passerai faire coucou... et on pourra boire ce verre. Elle se sentit implicitement répondre à l'invitation tacite du beau jeune homme. Il était difficile de résister à l'attraction de ces yeux couleur turquoise.

- Alors... on se voit jeudi ? Je dois rejoindre mes amis à la cafèt', expliqua-t-elle d'une voix neutre mais qui laissait percer un soupçon de déception.

Carrie hocha la tête en riant.

- Oui, c'est vrai qu'ils sont un peu tarés... c'est ce qui fait que leurs soirées sont aussi réussies ! Elle n'avait aucune peine à le croire : les jours de soirée, le campus tout entier était en ébullition, entre les filles qui se maquillaient dans les toilettes et les responsables qui couraient partout à la recherche du rouleau de scotch manquant. Il y eut un moment de silence durant lequel ils se regardèrent, puis Gaëlan sourit en détournant le regard.

- À jeudi, et merci encore pour le carnet ! ajouta-t-elle avec reconnaissance en serrant le précieux carnet contre elle. Elle songea en riant à demi que cette scène aurait tout à fait pu faire partie d'un roman : au début de L'Éducation sentimentale, Frédéric ne ramassait-il pas le foulard de Mme Arnoux ?

Enchantée de connaître quelqu'un de nouveau, elle se dirigea d'un pas sautillant et allègre retrouver ses amis à la cafétéria.