Akira Sath + Eileen Monroe (1)

Eileen est une jeune adulte qui, comme chacun, affronte la vie. Elle peut souvent paraître froide, inaccessible, hautaine, mais tout ça est la conséquence d'un passé bien douloureux qui n'a fait que la rendre plus méfiante et solitaire. D'ailleurs, ces derniers temps, elle ressasse, elle repasse en revue tout ce qu'elle a vécu depuis ces quelques années où elle est entrée dans la vie adulte. Et pour repenser à tout ça, elle erre la nuit, entre deux parcs, deux immeubles. Elle ne croise que rarement d'autres tourmentés, d'autres solitaires comme elle, et cette nuit là, elle ne put résister à l'envie de s'asseoir sur les quais du port, seule, l'horizon lui faisant oublier toutes ses pensées.

Setia était décidément une grande ville. Akira avait eu le temps de l'explorer depuis son réveil. Sa maison, à présent vide, ne lui offrait en effet guère d'activités attrayantes. Sortir lorsque la nuit tombait et que les rues se vidaient était bien plus excitant que de rester seul chez soi. C'était aussi bien moins déprimant - mais le Woltarien au pelage sombre s'efforçait de ne pas penser ainsi.

Cette fois-ci, il s'offrit le luxe de profiter du port, version nocturne. By night. Parfois, il en croisait d'autres, des comme lui. Des qui avaient tout perdu. Mais la plupart du temps, sa solitude trouvait un écho dans les rues désertes, et son coeur palpitait, comme si quelque chose d'incroyable allait se passer.

Se promener ainsi près de l'eau clapotante était assez apaisant, et Akira se sentait de plus en plus léger. Comme si le bruit de l'eau le diluait dans l'air. Étrange sensation... Mais tout à coup, il se sentit rattaché, et solidement attaché, à la terre ferme. À ses pieds, assise, mélancolique, se détachait la silhouette d'une jeune femme.

Eileen ne vit pas cet homme approcher, perdue dans sa contemplation, sinon elle aurait fui. Elle ne remarqua sa présence qu?au moment où il se retrouva juste à côté d?elle. Elle leva la tête, le regarda sans vraiment le regarder, et ne dit rien.
Subitement, elle reprit ses pensées, se leva d?un coup -manquant de se retrouver dans l?eau par la même occasion- et défroissa ses vêtements, en regardant l?homme en face d?elle.
Elle se demandait pourquoi elle ne partait pas tout simplement, au lieu de rester là, plantée devant lui.
Bon, il fallait bien dire quelque chose, elle n'allait pas rester là, à le regarder, sans rien dire ou partir comme une sauvage. Elle avait une éducation tout de même.

- Bonsoir...

Akira ne savait pas réellement quoi dire. Il ne voulait pas déranger la demoiselle, mais une petite voix lui soufflait qu'elle n'allait pas bien, pour être ainsi prostrée au bord de l'eau. Mais tandis qu'il se faisait ces réflexions, la jeune femme se relevait et époussetait ses vêtements. Il fut surpris lorsqu'elle lui adressa la parole. Agréablement surpris.

Bonsoir. Il prit quelques secondes pour la regarder. Elle avait de magnifiques yeux bleus, très sombres dans la nuit. Il se racla la gorge. Est-ce que vous allez bien ? Je ne voulais pas vous déranger.

Elle le regarda, et pencha légèrement la tête sur le côté pour l'admirer. Elle réfléchit quelques instants et décida d'éluder sa question.

Vous ne m'avez pas dérangée.. Je ne faisais.. rien de particulier.. Et puis.. Je me trouvais sur votre chemin après tout...

Elle sourit légèrement. Il avait l'air sympa. Gentil. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas parlé à quelqu'un, et elle ne voulait pas qu'on la prenne pour une recluse non plus. Elle pouvait bien discuter quelques minutes avec lui. Elle ne pourrait pas toujours fuir le moindre danger.

Gentille... et vulnérable. Akira avait un faible pour les demoiselles vulnérables. Comment pouvait-on voir une femme malheureuse et tout simplement la laisser ainsi ? Elle n'avait pas répondu à sa question, et il en déduisit simplement que non, ça n'allait probablement pas bien.

Est-ce que vous voulez vous rassoir ? Je marche depuis quelques temps et ces quelques marches m'avaient l'air très confortables. Il esquissa un sourire discret. Il ne voulait pas lui faire peur. Si vous préférez rester seule, je peux m'assoir plus loin. Mais après tout... vous l'avez dit, vous étiez sur mon chemin. Il croisa son regard, espérant voir le frémissement d'un sourire étirer ses lèvres.

Elle regarda chaque détail de son visage pendant qu'il lui parlait. En entendant sa dernière phrase, elle ne put réprimer un sourire en coin, détournant le regard en même temps. Elle hocha la tête et dit doucement.
Vous auriez pu m'éviter aussi.. Mais je ne vous en tiens pas rigueur..
Elle le regarda à nouveau dans les yeux, sourit, et se rassit.

À cette répartie, Akira sourit franchement et s'assit à côté d'elle. Physiquement leurs corps ne se touchaient pas - il ne se serait jamais permis cela - mais il se sentit d'un coup moins seul, et comme réchauffé.

Alors dites-moi... que regardiez-vous ? Peut-être regardait-elle simplement au fond de son âme à la recherche de souvenirs douloureux ; mais en attendant, les lumières de l'autre rive clignotaient doucement, comme pour leur adresser des signaux. Akira se demanda quand est-ce qu'il était allé pêcher pour la dernière fois de nuit, comme ça, pour le plaisir ; pour se détendre et pour finir la journée en observant les étoiles, sur la coque étroite de son petit bateau. Il ne se souvint pas.

Elle regardait l'horizon, les lumières qui clignotaient, la mer calme comme un lac.

Je.. Juste l'horizon.. Je me demandais comment ça pouvait être de n'être qu'un.. élément du paysage.. Un arbre, la mer, un nuage.. Se laisser porter.. Enfin.. Elle rit légèrement, se rendant compte qu'elle devait être prise pour une folle. Elle secoua doucement la tête et le regarda.
Et vous ?.. Pourquoi vous promeniez vous seul ?..

Se laisser porter... répéta-t-il doucement, pensivement. Je crois que je comprends parfaitement ce que vous voulez dire. Oui, il serait bien agréable d'être ainsi guidé par des forces qui nous dépassent, pensa Akira. Ne plus réfléchir, ne plus avoir ces pensées qui tourbillonnent et qui nous empêchent de dormir. Qui nous empoisonnent la vie... En attendant, ces pensées laissaient place aux doux rire de cette belle inconnue.

Je profitais de Setia déserte. La ville grouille toujours de monde, c'est fou de voir qu'elle change littéralement de visage la nuit. Cela ne répondait pas à la partie de la question, "pourquoi seul", mais, eh bien, elle n'avait pas tout à fait répondu non plus.

Elle lui sourit. Décidément il était agréable. Agréable à écouter, et à regarder. Elle ne répondit pas tout de suite, reportant son visage sur la mer. Elle comprenait ce qu'il ressentait. La nuit, toute ville devenait magique..

Je préfère la ville de nuit également.. L'insomnie devient presque quelque chose de bénéfique, n'est pas ? Elle sourit.

On distinguait au loin des bateaux de croisière qui naviguaient, des bateaux de pêche, et d'autres petits points lumineux. Et un léger vent marin se levait, caressant son visage. Elle inspira doucement ce parfum iodé qu'elle aimait tant.

Oui, c'est le pendant positif des insomnies... ça, et rencontrer d'autres oiseaux nocturnes, dit-il en souriant. Il regarda son profil. Il se sentait tout d'un coup plus léger, et il eut l'impression qu'elle respirait également mieux. C'était peut-être présomptueux, mais...

Ce fut très agréable de vous rencontrer. Je pense que je ne vais pas m'attarder et que je vais rentrer chez moi, mais... est-ce que ça vous dirait de manger ensemble, un de ces jours ? Les mots étaient sortis naturellement. Il se sentit tout à coup un peu ringard. Au fait, je m'appelle Akira.

Elle le regarda, surprise. Son c?ur se mit à accélérer. Elle aurait dû partir, elle ne savait plus faire ces choses là.. L'idée l'attirait néanmoins.. Non. Elle ne pouvait pas. Elle etait trop vulnérable pour ça...

Moi c'est Eileen.. Mais.. J'ai un planning très chargé ces prochains jours.. Enfin non, mais.. Écoutez... J'ai beaucoup apprécié discuter avec vous, vraiment, mais je..

Elle se tut, admirant ses yeux. Elle etait complètement perdue et paniquée à la fois. Qu'est ce qu'elle faisait ? C'était juste un repas après tout ! Non non et non, elle se connaissait, ce n'était pas une bonne idée. Elle regarda ses mains et reprit doucement.

Akira.. Je.. Laissons faire le hasard.. Si cela doit se faire, alors nous nous reverrons et à ce moment, j'envisagerai avec plaisir l'idée..

Elle se releva, le regardant tristement. Puis elle murmura.
Je suis désolée...

Akira se sentit rougir, il espérait que le pelage sombre et la nuit tombante aideraient à cacher son trouble. Il ne voulait surtout pas passer pour un désespéré qui se précipitait sur les femmes qu'il rencontrait.

Je comprends parfaitement... Eileen. Je ne voulais pas vous effrayer, ajouta-t-il en son for intérieur ; mais les mots ne passèrent pas ses lèvres. Peut-être que nous nous reverrons, en effet, si le destin... Il n'acheva pas sa phrase. Il se sentait un peu ridicule. Il pensa à sa maison pleine de vestiges, de souvenirs, et il se demanda soudain ce qu'il faisait là. Les étoiles qui brillaient devinrent comme autant de yeux qui le fixaient, qui le condamnaient. Qui le jugeaient de vouloir aller de l'avant.

Oui, ce soir, il allait suivre les étoiles. Il se releva doucement. Je vais vous laisser, je ne voulais pas interrompre votre contemplation nocturne. Soyez prudente en rentrant chez vous. Elle s'était redressée également, et il la contempla quelques secondes, lui laissant le temps de rassembler ses esprits et de lui répondre.

Elle lui sourit, elle le trouvait charmant et elle essayait de se raisonner intérieurement mais ses angoisses la dominaient toujours.

J'espère vraiment qu'on se reverra..
Et c'était vrai, elle le désirait mais c'était plus fort qu'elle, elle ressentait le besoin de fuir. Elle remarqua qu'il avait légèrement changer d'humeur, devenant un peu moins avenant qu'il l'avait été jusque là. Elle se dit qu'elle l'avait sûrement un peu refroidi. Elle le regarda, lui faisant un sourire sincère.

Merci pour cette agréable discussion.. Rentrez bien vous aussi.. Et.. À bientôt...

Elle fit un léger signe de tête et s'en alla.

Akira la regarda s'éloigner avec un sourire un peu rêveur... Cette rencontre nocturne était un peu onirique... Après quelques instants, le jeune homme s'ébroua et repartit de son côté, couvé du regard par les étoiles bienveillantes.

Elle rentra chez elle, et se remit au travail, s'isolant pour les jours suivants. Mais elle pensait souvent à lui, regardant la mer de sa fenêtre.*